L’art du foodscaping

Il est enfin là, ce livre sur lequel je travaille depuis 3 ans avec autant de zèle, de tension et d’enthousiasme qu’une petite abeille de juin dans un champ de lavandes… et s’il m’a fallut 3 ans c’est parce que j’ai dû m’accrocher avec une certaine opiniâtreté 😂 : sécheresse brûlante de juillet 2022 (juuuste pendant mes 15 jours d’absence), grêle totalement destructrice de mai 2023, etc. mes massifs « témoins » créés avec beaucoup d’amour et de réflexion ont vraiment eu droit à tout (même à une évasion de cochon et à une attaque de plant de potiron psychopathe, je vous raconte tout ça dans le livre 😊).

J’en suis malgré tout venue à bout et attendez-vous, très sincèrement, à vous faire un peu renverser par un petit souffle d’émerveillement qui va vous mettre bien de la joie au coeur ;). Aucun jardinier ne ressort totalement indemne d’une plongée au cœur du concept de foodscaping : une fois que l’on commence à soupçonner combien la partie ornementale et la partie nourricière du jardin pouvaient cohabiter, se fondre, s’associer, en un mot s’harmoniser, et cela sans que la productivité n’en souffre (bien au contraire) alors tout un monde s’ouvre à nous : le monde enchanté d’un jardin fleuri, coloré, parfumé, lumineux, joyeux, profondément ressourçant, où les fleurs, fruits, baies, légumes et herbes aromatiques s’offrent à chacune de nos déambulations, le tout orchestré par la mélodieuse sonate des abeilles, bourdons, oiseaux et cigales, le ballet joyeux des papillons grisés par tant de nectar…

Mais avant tout, qu’est-ce que le foodscaping ? Que je le précise aussitôt : je ne fais pas partie de ces fanas d’anglicismes qui baragouinent à longueur de jour une sorte de charabia censé faire « cool » ^{_{(et mince, encore un anglicisme ^^)}}. À chaque fois qu’il m’est possible d’employer le terme français je le fais volontiers, non par chauvinisme ou alors si peu mais tout simplement parce que c’est dans l’ordre des choses… et puis parfois, c’est compliqué.

Il est par exemple beaucoup plus poétique de cuire ses pâtes al dente que « à la dent » ^^.

Et bien idem ^{_{(horreur, un mot latin !)}} pour foodscaping : cette contraction de food (nourriture) et de landscaping (aménagement du paysage) inventé par les jardiniers anglo-saxons décrit bien le concept consistant à créer des jardins à la fois esthétiques et nourriciers où légumes, fleurs, herbes et fruits vibrent à l’unisson dans de somptueux massifs, parterres et bordures.

Je sais que certains lecteurs me le reprocheront et quelque part, je les comprends : mais avec mes éditrices nous avons vraiment passé beaucoup de temps à chercher comment exprimer cela en un mot de bon français… quitte même à l’inventer. Mais nous n’avons pas trouvé.

Car « l’art de l’aménagement d’un paysage à la fois esthétique et comestible », c’est long…

Et si l’on cherche à former un acronyme comme « jardin-ornemento-vivrier », « jardin-esthéti-nourricier » ou « culturepoéticomestible » c’est horrible 😂. Vous ne voudriez tout de même pas qu’un concept aussi poétique soit exprimé par un mot évoquant une injure du capitaine Haddock ?

Si vous trouvez toutefois une idée géniale pour traduire foodscaping en langue de Molière je suis preneuse, mais en attendant, vu que la guerre de 100 ans est terminée je vais me contenter de ce terme anglais qui sonne joliment, en espérant ne pas déclencher la foudre ;). D’autant plus que, à propos de Molière… tel M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, moi je jourdainais, pardon, je jardinais à la façon du foodscaping bien avant que le terme ne soit inventé !

Car c’est à force de contempler mon potager, la beauté de ses camaïeux et de ses formes, la façon dont la lumière et le vent jouaient dans les feuillages, que l’idée m’est venue il y a déjà bien longtemps d’associer fleurs et légumes (sans oublier les fruits) dans des massifs à la fois nourriciers et très ornementaux.

Je le fais donc instinctivement depuis des années, sans savoir que cette tendance portait le nom de foodscaping…

Mais est-ce vraiment une nouvelle tendance ?

Non… et en fait si !

Non, dans le sens que ce qui fit la renommée des jardins d’abbaye, puis des fameux « jardins de curés », c’est justement cette cohabitation de légumes, de fruits et de fleurs. Il existait certes d’autres formes de jardins, dans les châteaux et manoirs par exemple, mais exclusivement ornementaux : le potager, considéré comme utilitaire donc un peu vulgaire, était souvent relégué dans un coin discret et cultivé par des domestiques. Chez les gens plus modestes du milieu paysan, le jardin consistait en quelques « simples » (herbes médicinales), raves (les fameuses « racines » dont on nous rabat les oreilles dans les livres d’histoire) et herbes à pots (légumes-feuilles) cultivés tout près de la maison pour agrémenter la soupe quotidienne. Ces modestes jardins familiaux se voulaient nourriciers et médicinaux : les fleurs que l’on ramassait pour les fêtes étaient uniquement celles que Dame Nature laissait éclore au fil des saisons dans la campagne, tel une brassée d’églantines, de marguerites ou de coquelicots…

Pourquoi les jardins de curés ou de monastères étaient-ils si différents ? Parce que le prêtre ou le moine, en plus de devoir faire pousser fruits et légumes pour sa propre subsistance et celle de ses « pauvres », devait subvenir à la floraison des autels pour le culte divin. Abondamment fleuris en plus d’être vivriers, les jardins de curés et d’abbayes ont beaucoup influencé le formidable essor des jardins particuliers au 18ème et 19ème siècle. On pourrait donc affirmer qu’il n’y a rien de bien nouveau, les curés, moines et moniales pratiquant une sorte de foodscaping sans le savoir…

Mais cette tendance s’est un peu essoufflée. Dès la fin du 19ème siècle, l’exemple de somptueux jardins anglais ou exotiques ont encouragé les jardiniers à cultiver toujours plus de fleurs ou de plantes ornementales pour « épater » les voisins (ou se faire plaisir, tout simplement), laissant les maraîchers en plein essor pourvoir les ménages en beaux légumes tout frais. À la seconde moitié du 20ème siècle, les potagers et vergers ont été petit à petit abandonnés pour des « jardins d’agrément » très propres et uniquement ornementaux, ou en tout cas considéré comme tels : un gazon impeccable, des allées cimentées pour « faire propre », quelques plantes et arbustes isolés, des haies bien « nettes » de thuya ou de laurier pour ne pas apercevoir le voisin en caleçon devant son barbecue, éventuellement une piscine et une terrasse dallée. Voilà le jardin idéal des années 50, censé témoigner de la progression sociale de ses propriétaires. Et ce modèle a perduré en partie jusqu’à nos jours…

Bien sûr, quelques jardiniers un peu poètes ont continué à faire vivre, principalement dans les campagnes (mais pas que), des jardins délicieusement sauvageons associant pêle-mêle arbres fruitiers, belles roses et fleurs romantiques, ainsi que des potagers fleuris de quelques dahlias, pivoines, cosmos…

Mais cet art de savoir associer avec goût plantes comestibles et ornementales dans des massifs et compositions en dehors des clôtures du potager, et même, pour aller plus loin, de savoir regarder les fruits et légumes comme des plantes ornementales à part entière, c’est cela qui est nouveau. Très nouveau même…

Nos jardins de particuliers ont tellement évolué depuis des siècles, passant de quelques herbes et « racines » du jardin paysan médiéval au jardin fleuri tel que Monet les aimait au 19ème siècle, puis ensuite aux jardins « propres » avec piscine et gazon des Trente Glorieuses… moi je suis prête à parier qu’une page se tourne, c’est le moment. Les jardins ont changé entre le moyen-âge et la Renaissance. Ils ont changé au 19ème siècle. Ils ont changé après les deux guerres mondiales. Ils vont encore changer. Ils ont même déjà commencé.

L’essor de la permaculture a remis la nourriture, l’abondance et une certaine forme d’autonomie au cœur des jardins particuliers ou associatifs. Elle nous a aidé à comprendre que l’on pouvait produire sainement et abondamment sur des espaces limités et cela est précieux car nos jardins sont de plus en plus petits, et souvent chaque mètre carré compte.

Les aliments que l’on achète dans le commerce n’ont pas de goût, sont souvent malsains, et très chers.

Notre planète, l’air que nous respirons, les abeilles, les oiseaux, la faune… tout aspire à ce que nos jardins s’ensauvagent. Moins de gazon, moins de haies de laurier-cerise taillées au carré ou de thuyas savamment formés en suppositoire géant, moins de béton, moins de graviers… Plus de fleurs, plus de légumes, plus de plantes sauvages autochtones, plus d’arbres fruitiers pour nourrir les insectes, les oiseaux… mais aussi les humains, avec de beaux fruits et légumes du jardin, bio, produits au kilomètre zéro.

En cultivant son jardin vivrier, on gagne en autonomie alimentaire, économique, et on s’assure une bien meilleure santé à tous points de vue.

Mais en ajoutant une dimension réellement esthétique à ce jardin vivrier, notre bonheur se fera profond… Voyons plus loin que le brave paysan du moyen-âge avec ses rangs de raves et de poireaux échevelés ! Nourrissons aussi un peu notre bonheur en répondant à ce besoin impératif que l’Homme ressent comme chevillé au fond de son âme, et qui rejaillit dès l’instant où il sort de son mode « survie » : cultiver le Beau, l’art et l’harmonie.

Dans ce monde un peu fou, romantisons un peu nos vies, en romantisant nos jardins nourriciers… 😊

Sur ce, je vous ouvre les portes de mon jardin… et commençons par un petit florilège de légumes tous plus beaux les uns que les autres, à faire pâlir les fleurs elles-mêmes : ils sont parmi les « incontournables » de mon jardin ornemental et nourricier (et ne sont pas tous là, il manque par exemple les poireaux aux feuillages bleutés, certains choux chinois aux feuillages rouges, les choux Noir Toscan, etc. je ne peux pas tout vous publier ici, mais ils sont dans mon livre 😉)

Et maintenant, un petit florilège des fleurs que j’utilise beaucoup, à la fois pour leur beauté, leur simplicité de culture et leurs bonnes affinités avec les légumes ou les fruitiers…

Un petit avant-après assez sympa 😊 (bon, j’ai changé de serre aussi, ça aide mais ça ne fait pas tout ! 😂)

Sous deux angles différents, voici le même mûrier-platane photographié au printemps 2021 (choux en fleurs, tulipes et pensées) puis en août 2024 (après la réalisation d’un joli plessis avec ses propres tailles de branches, le tout garni de plantes à tisanes et de fleurs d’été… des deux massifs sont détaillés dans le livre.

Autre « avant-après » : 2 ans séparent ces photos mais même en faisant abstraction du changement de serre, il aurait suffit de quelques semaines pour créer cette lasagne à la fois productive et fleurie à la place de l’herbe.

Le même bout de jardin vu…

Mon seul regret avec ce livre? Nous n’avons pas réussi à y faire entrer ne serait-ce qu’un cinquième de toutes les photos que j’avais prises… heureusement que j’ai ce blog, je vais pouvoir les publier ici de temps en temps 😉.

L’art du foodscaping

Vient de paraître aux éditions Terre Vivante (un immense merci à mes éditrices Brigitte et Julie pour avoir cru en ce projet, et aussi pour avoir eu la patience de repousser de deux années sa sortie suite aux divers imprévus… on y est enfin 🙂

Pour l’acheter, vous pouvez le demander en librairie, ou le commander directement sur le site de l’éditeur (clic !), cela nous aide beaucoup à résister aux difficultés économiques et concurrences un peu déloyales de ce monde bizarre 🙂

Pour voir la 4ème de couverture et le sommaire (en cliquant sur « plus d’infos », c’est ici (clic !):

Et pour terminer, je vous ai fait une petite vidéo… régalez-vous bien 🙂